Chapitre 1 : Set fire to the chocolate
Nous
étions au mois de septembre.
Les flocons de neige
s'agitaient déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle
dans laquelle je me trouvais.
Je n'avais pas l'habitude de voir, à
cette période de l'année, les paysages se recouvrir de flocons d'une
blancheur pareille au lait. Mais je me réjouissais d'avance,
car cette fine neige me rappelait le joyeux mois de décembre, la période que
j'attendais chaque année avec impatience : lors des fêtes de fin d'année, je me
sens toujours heureux et fier d'exercer mon métier.
Je suis chocolatier créateur depuis
presque aussi longtemps que le péché de la gourmandise existe. Enfant déjà,
lorsque mon père tenait la boutique de la chocolaterie Dousset, je prenais un plaisir fou à imaginer quelles nouvelles
saveurs les amateurs de chocolat pourraient apprécier, quelles formes
surprenantes il était possible de donner à cet aliment. Mais par dessus tout,
je savourais chaque copeau de chocolat qui m'était offert. C’est de tout ce que
m'a inculqué mon père qu’est née cette admiration, cette passion pour le
chocolat. Ainsi, comprenez que je trépigne d'impatience à l’idée de vendre des
milliers de chocolats à des clients émerveillés à la fin de l'année !
Mais revenons à ce mois de
septembre.
Les flocons de neige s'agitaient
déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle dans laquelle
je me trouvais. A l'intérieur se déroulait une conférence sur les bienfaits du
chocolat. Sur les murs étaient accrochés de nombreux tableaux, au travers
desquels coulaient toutes sortes de chocolats, comme s’ils cherchaient à
s’évader des paysages sucrés qui y étaient représentés. Ces tableaux, telles
des fontaines, laissaient s'échapper des litres entiers du meilleur aliment du
monde, mais personne ne semblait s'inquiéter de l’étrangeté de la situation.
Nous devions être une trentaine à
assister à la conférence qui était donnée par deux chocolatiers confiseurs.
Parmi les spectateurs se trouvaient ma femme, Victoria, et ma fille de quinze
ans, Magalie, qui avait longuement insisté pour nous accompagner et assister à
cet événement. Cependant, je ne me souviens plus exactement de ce qu’il s’y est
dit…
Mais
je ne vois pas l’intérêt de m’attarder sur ce détail : la suite est bien
plus étrange.
Plus tard, lors de la logorrhée de
l'un des conférenciers, je remarquai, deux rangs devant moi, un nourrisson qui
m'avait l'air peu ordinaire. Je n'y prêtai pas réellement attention, absorbé
par les paroles insensées du chocolatier. Mais je finis par le regarder à
nouveau : quelque chose de louche semblait se tramer.
Tout à coup, j'ouvris grand les
yeux.
Le bébé grandissait à une vitesse
considérable : d’abord son visage s’affina et ses cheveux poussèrent, devinrent
presque noirs. Sa peau lisse de bébé innocent devint alors boutonneuse,
impropre et visiblement rugueuse. Puis tout le reste de son corps suivit. Le
spectacle était indescriptible. Il avait atteint, en quelques secondes, une
taille presque adulte ! Ses yeux d'adolescent me fixèrent alors, et je
sentis dans cet être anormal un sentiment de partage, comme une once de
compassion. J’avais l’impression qu’il voulait s'excuser d'un événement dont je
ne connaissais pas la source. Je ne savais pas qui était cette personne
surnaturelle, ni ce qu'elle me voulait, mais je priais pour qu'elle ne
m'approche pas, et reste loin de Victoria et Magalie.
A ma grande surprise, le jeune
homme détourna son regard, s'éloigna d'un mètre, puis de deux, jusqu'à ce qu'il
atteignît l'un des murs de la salle. Le reste du public ne semblait pourtant
pas s'étonner de ce phénomène. Je devais être l'un des rares à craindre ce qui
allait suivre. L'adolescent scrutait le tableau en face de lui d’où coulaient
encore des litres entiers de chocolat qui avaient déjà atteint les pieds des
premiers spectateurs.
Il se produisit alors quelque chose
qui m'échappa.
L'adolescent sortit un briquet de sa
poche, l'alluma. La flamme s'approcha dangereusement du chocolat et, en
quelques secondes, le feu passa d'un tableau à l'autre, encerclant la salle de
flammes gigantesques. Le public, enfin conscient qu’un drame se produisait,
commença à s'affoler : des cris retentirent d'un bout à l'autre de la
salle, et le jeune homme disparut.
Vertiges.
Sursaut ! Lumière ?
Réflexion... Ah, rêve !
Je vérifiai que ma femme était bien
à côté de moi dans le lit. Je fus rassuré de savoir que je venais seulement de
vivre un rêve ridicule. Victoria dormait encore.
Sans aucun bruit, j'enfilai mes pantoufles
et me dirigeai vers la fenêtre : aucun flocon de neige, tout allait bien
pour un mois de septembre.
Je suis Tomy Dousset, et je vis dans
le monde du chocolat depuis mon enfance.
Ma femme, Victoria, et mes trois
enfants s'occupent de la chocolaterie
Dousset avec moi quand ils en ont le temps. Ma première fille, Magalie, a
quinze ans et est déjà très mature pour son âge. Elle a le sens des
responsabilités, et je suis plutôt fier d'elle. Lisa, ma seconde fille, douze
ans, rentre tout juste dans la crise d'adolescence. Elle se rebelle un peu, et
pense parfois être la reine du monde, mais rien de bien méchant pour le
moment... Et puis nous avons notre petite merveille, Benjamin. Mon fils a eu
six ans le mois dernier, et est très attaché à sa mère. Celle-ci se voit
pourtant contrainte de laisser Magalie s'occuper des deux cadets lorsqu'elle
travaille sur ses projets d’écriture qui lui tiennent généralement beaucoup à
cœur. Car, en plus de s'occuper de la boutique, Victoria est aussi traductrice
d'édition depuis deux ans maintenant. Lorsqu'elle est dans son bureau, il est
préférable de ne la déranger sous aucun prétexte, mais son travail autonome lui
permet de nous consacrer beaucoup de temps, aux enfants et à moi.
Nous sommes à nous cinq une famille
heureuse, et on ne peut plus ordinaire.
Mais jamais je ne me serais douté de
toute l'aventure que j'allais vivre.
Si
vous associez le terme « banal »
à « monotone » ou encore à « ennuyeux », alors je ne
pourrais vous affirmer que la journée où tout a commencé était au départ
banale.
C'était pourtant une journée
splendide, comme toutes celles qui avaient défilé dans ma vie jusque là.
Magalie venait de rentrer du
lycée, et Victoria était allée chercher Benjamin à l’école primaire, quelques
rues plus loin. C’était jusqu'à présent un jour des plus normaux : ma
femme avait passé toute la journée dans son bureau, pendant que je m’occupais
de la vente de mes tendres chocolats.
Et je ne me lassais pas de ce
quotidien.
- Dis papa, on peut utiliser
les bougies ?
Ah oui... Lisa était restée à
la maison aujourd'hui, prétextant une obscure maladie, comme chaque mercredi
depuis la rentrée, pour la simple raison qu'elle voulait rester dans sa chambre
pour jouer avec sa meilleure amie, Luna qui, elle, avait la chance de ne pas
avoir affaire au « supplice scolaire », comme Lisa le disait si bien.
Naïfs et attachés à nos enfants
comme nous le sommes, cela faisait déjà trois fois que Victoria et moi
acceptions qu'elle reste se reposer. Mais peu importe, je sévirais mercredi
prochain.
- Lisa, je t'ai déjà dit que
maman ne voulait pas qu'on touche aux bougies avant Noël ! Allez vous
amuser ailleurs, j'ai du travail...
Cet après-midi-là, c'était
pensif que je vendais mes chocolats aux clients.
Mes rêves de la nuit passée
tournaient encore dans ma tête. Il était à vrai dire impossible de ne faire
aucun rapprochement entre mes fabrications et les cascades de chocolat de mes
songes nocturnes.
Heureusement, Magalie était là pour
m'aider à tenir la boutique.
- Papa, Luna et moi on vient
de faire une grosse connerie !
- Lisa, ton langage !
- Mais papa, viiite, c'est
urgent !
Inquiet, je décidai de laisser
la boutique à Magalie quelques instants pour aller voir ce que Lisa avait encore
fait.
Ma fille me conduisit jusqu'à sa
chambre et...
Horreur, catastrophe !
Rideaux, feu, bougies...
Ma fille m'avait encore une
fois désobéi, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle allât jusqu'à mettre le
feu aux rideaux !
Encore une fois, mon rêve me
revint en mémoire : était-ce un rêve prémonitoire ? Peut-être
quelqu'un avait-il programmé de mettre le feu chez moi suite à ce rêve...
- Papa !!
Stop la paranoïa !
Je me réveillai soudain de mes
songes. Je fus inconscient de ce qui se passait autour de moi pendant quelques
secondes, mais heureusement pour moi, pas assez longtemps pour que le feu se
propageât dans toute la pièce.
Paniqué, je pris avec une
force herculéenne l'aquarium du couloir, et aspergeai les rideaux d'eau.
Par chance, le feu était encore
faible, et quelques seaux supplémentaires me suffirent à l'éteindre
totalement...
- Putain, mais Lisa, bordel,
t'en as pas marre de tes conneries ?!
- Mais c'est la bougie qui...
enfin quand Luna... j'ai... le rideau... poissons...
Ma fille se mit à sangloter.
Je la pris alors dans mes bras, et
essayai de la calmer. Je savais qu'elle était désolée, mais il fallait à tout
prix que j'arrête de me laisser marcher dessus par une enfant de douze
ans ; elle avait failli nous tuer !
Les poissons, pour la plupart
morts, étaient étendus sur le sol, au pied des rideaux maintenant inexistants,
mêlés à de l'eau, de la cendre, et de la cire qui avait coulé de la bougie
criminelle. Un seul poisson gigotait encore au sol, mais avant même de pouvoir
le remettre à l’eau, je vis ses mouvements faiblir, jusqu’à ce que l’animal
rende enfin l’âme... Ma femme allait beaucoup m'en vouloir ! Qu'allais-je
faire de ces petites bêtes maintenant ? Je n'allais tout de même pas les
jeter... Les manger peut-être ?
- Pour les poissons...
n'hésitez pas à les manger ! me dit Luna. Ma maman dit souvent qu'ils
développent l'imagination, et que ceux qui vivent en aquarium font faire de
beaux rêves à leurs consommateurs.
Mais c'est quoi cette petite
aux idées haut perchées ? Elle lit dans mes pensées ou quoi ?!
Une fois cette fin
d'après-midi mouvementée terminée, Luna rentra chez elle. Suite à l'explication
que je dus donner à Victoria sur l'incident et les poissons morts, qui ont en
fin de compte terminé dans la gamelle du chat de Luna, l'ambiance fut pesante
tout au long de la soirée.
Ma femme, préférant travailler
sur ses projets d'écriture après avoir bordé les enfants, me laissa en plan.
Je suis alors parti me coucher seul,
épuisé par ces dernières heures.
Mais c'était bien naïvement
que je m'imaginais que tout serait achevé après une bonne nuit de sommeil.
Chapitre 3 : Mais le sommeil ne le
sait pas...
Mon esprit fut
particulièrement tourmenté cette nuit-là.
Si je me souviens bien, mon
rêve avait commencé devant la maison de mes parents.
J’ignore pourquoi, mais mon corps
refusait de rentrer chez eux, alors j’attendais bêtement devant la porte, en
chantant She's like heroin …
A
l’intérieur de la maison, j’entendais ma mère dire à mon père « George, va
chercher Mory avec la voiture de police à l’école, s’il te plaît, et emmène la
sonnette avec toi ! ». J’avais envie de rire en entendant ces propos
insensés ! A ma connaissance, mes parents n’avaient jamais connu personne
se nommant Mory.
Je me suis soudainement
retrouvé dans un quartier délabré de la ville, dans lequel un homme qui
semblait sans visage criait « Fishy, va chercher ! ». A ces
mots, un poisson rouge haut d’une dizaine de mètres surgissait de derrière les
vieilles bâtisses endommagées, et courait sur ses nageoires en direction d’un
petit groupe d’adolescents en uniforme ridicule. La créature les regardait
fixement sans s’arrêter de courir, et finit par les gober dans un bruit
répugnant. Luna, l’amie de Lisa, intervint alors, une bougie à chaque main, et
cria au poisson : « Viens là, que je te réchauffe les nageoires, ou
tu finiras dans la gamelle de Mystègri ! ».
A ces mots, un sursaut
provoqua mon réveil.
Il m'arrivait très souvent de
rêver, mais ce songe-là était le signe du début d'une série d'aventures
surréalistes et toujours inexplicables.
Dans un premier temps, en
repensant au rêve de la nuit passée, je ris de l'absurdité de mes songes, en me
disant que je devais avoir une sacré imagination pour en arriver à rêver de
poisson géant et d'homme sans visage.
Mais au fil de la journée, mon
inconscient nocturne me semblait de plus en plus inquiétant. Je me disais que
certains de ces éléments oniriques n'étaient pas là par pur hasard, et qu'ils
signifiaient probablement quelque chose.
Cependant, à ce moment, cette
hypothèse avait encore peu d'importance dans le flot de ma vie...
***
Bureau des rêves, dix-neuf
heures et trente-sept minutes, la veille.
- Un autre bébé Mory ?
- Non, l'aquarium mortel !
- Bébé Mory qui se noie dans
l'aquarium mortel !
- Faites-le plutôt se faire
dévorer par un poisson ! Un poisson géant !
- Non, pas Mory ! Les
quatre gamins qu'il a croisés tout à l'heure ! Mangés par un poisson
géant !
- Ou la mort de Lisa !
- SILEEEENCE ! On ne
touche pas à Lisa, Luna me l'a interdit. Et je ne veux pas écrire un rêve qui
rejoigne celui de la nuit dernière, alors pas de bébé Mory, les gars.
- Mais... Rowena, il faut bien
que Tomy rêve de lui chaque nuit et le rencontre un jour, vous l'avez dit
hier !
- Tomy ne rêvera pas de Mory bébé.
Quelqu'un a une idée ?
- Maman ? Cet après-midi,
j’ai vu Mory devant la maison de ses parents, il avait l'air particulièrement
perturbé... peut-être que le père de Lisa peut rêver aussi de la maison... et
de Tomy.
- Je suis d'accord avec la
gamine. Qui vote pour l'apparition de la maison ?
Le vote fut unanime :
toutes les mains, y compris celle de Rowena, se levèrent.
Encore une petite demi-heure et la
communauté des rêves avait fini de préparer ce dont Tomy allait bientôt rêver.
***
- Monsieur ? Tomy, houhou ?...
Encore une fois, mon esprit
était ailleurs, et je n'arrivais plus à assimiler ce qu'il se passait autour de
moi. Ma tête était encore dans mon rêve, devant la maison de mes parents.
Je tenais seul la boutique à
ce moment là, et Luna, en face de moi depuis un certain temps, me faisait des
signes, mais je n'avais rien remarqué.
- Oh, excuse-moi, Luna,
j'étais... ailleurs. Tu es là depuis longtemps ?
- Non, non, je viens juste
d'arriver. Lisa est ici ?
- Victoria et moi l’avons
punie suite à sa bêtise d’hier.
- C’était de ma faute… j’ai voulu
prendre les bougies pour faire une séance de spiri… euh… enfin, je voulais
m’amuser un peu avec Lisa, mais ça a mal tourné… ce n’est pas de sa faute. Vous
pourrez lui donner ça de ma part ?
Elle me tendait une boîte, en
me disant que c’était sa mère qui avait tenu à l’offrir à Lisa, et en
m’assurant que ce n’était pas dangereux et que cela lui ferait sincèrement
plaisir. Il s’agissait de bâtonnets d’encens.
Un flash me vrilla alors la tête.
Et instantanément, je me souvins
d’un passage de mon dernier rêve que j’avais jusque là oublié.
***
Après ces
aventures dans ce quartier délabré dans lequel de nombreuses choses
incohérentes s'étaient passées, j’étais dans une pièce sombre qui sentait
l’encens à plein nez. Elle ressemblait étrangement à la demeure d’une voyante.
Beaucoup d’accessoires peu rassurants s’y trouvaient : miroirs, boules de
cristal, poupées vaudous…
La porte s’est alors
brusquement ouverte.
Je craignis qu’une sorcière
n’apparaisse, le balai à la main, le rire effrayant, le physique épouvantable…
Mais il ne s’agissait que d’un
homme, dont le corps et le visage étaient couverts de débris de miroirs. Je ne
voyais qu’un reflet déformé de moi en le regardant.
Une femme est alors apparue de
nulle part, elle nous fixait tous les deux. C'était une belle et grande femme.
Elle était envoûtante, hypnotisante même. Ses deux grands yeux verts me
fixaient avec une douceur intriguante. Elle se tourna ensuite vers l'autre
homme. Je remarquai sa longue chevelure
noire qui ondulait sur ses épaules : elle était étincelante.
L’homme-miroir avait l'air de
penser la même chose que moi sur cette sublime créature. Elle me faisait penser
à quelqu'un, mais je ne me souvenais pas à qui. Peu m'importait, c'était une
femme ravissante.
L'homme et moi nous
retrouvâmes tout à coup à coté de la maison de mes parents. La femme n'était
plus là, et nous l'avions déjà probablement oubliée. Il me semble qu'ensuite,
je sautai inexplicablement sur le dos de l'homme aux débris de miroir, comme
pour le mettre violemment à terre.
Nouveaux vertiges.
***
C’était après cette chute que
je me réveillai.
Luna ! C'était à elle que
me faisait penser la femme dans cette salle ! Probablement une
coïncidence... A moins que cette enfant me rende dingue !
En revanche, ce qui me
perturbait, c'était la double apparition de la maison de mes parents cette
nuit-là. A vrai dire, je refusais de croire que ce n’était qu’un simple hasard.
Mes rêves étaient de plus en
plus étranges depuis peu, je finissais par me sentir malade d'y accorder autant
d'importance, mais les oublier était au dessus de mes forces. J'avais
l'impression que mes songes avaient une influence grave sur mon quotidien,
comme si ces rêves qui me laissaient chaque fois à l'ouest changeaient la
personne que j'étais.
C'est par ce raisonnement que
je me dis qu'il fallait à tout prix que j'aille voir mes parents, c'était comme
si mes songes m'appelaient à le faire...
Chapitre 4 : Le début de la
fin
Bureau des
rêves, seize heures et vingt-quatre minutes.
Les membres du conseil
chuchotaient dans la salle. Ils attendaient impatiemment le retour de Rowena et
sa fille. Autour d'eux, les boules de cristal et les vieux livres de magie se
recouvraient de poussière.
La porte s'ouvrit alors d'un
mouvement sec et rapide, tous sursautèrent, la poussière vola, et Rowena,
suivie de sa fille prononça ce que chacun souhaitait entendre.
- Notre
mission touche à sa fin mes amis ! Luna vient de me rapporter que d'ici
quelques minutes, Mory rencontrerait enfin George et Sandra ! Et ce n'est
pas tout : grâce aux fabuleux rêves que nous avons créés ensemble, Tomy a
lui aussi décidé de voir ses parents pour éclairer ses doutes sur son état
d'esprit !
Euphorie
dans la salle, l'ensemble du conseil des créateurs de rêves fut soulagé et fier
d'être parvenu au bout de cette mission. Rowena rétablit le calme.
- Évidemment, notre espionne,
ma chère fille Luna, devra s'assurer que tout se passe bien lors de cette
rencontre, et nous rapporter tout ce qui a été dit ! Mais ne vous en
faites pas, ce n'est qu'une affaire de quelques minutes ! Luna, maintenant
tu peux y aller. Mory arrive à 16h31, Tomy à 16h48, n'oublie pas !
Et la fillette, avec un
sourire malicieux, fila droit vers la maison de George et Sandra Dousset.
***
Marchant,
courant, volant vers la maison des vieillards, Luna continuait fièrement son
devoir d'espionne. Arrivée devant la clôture, elle regardait l'heure. 16h30.
Elle voyait déjà au loin la silhouette de Mory se diriger vers la maison.
L'enfant se cacha vite,
discrètement, dans un buisson, en attendant que Mory n’entre.
Driiiiing.
« … que me vaut le plaisir de
ta visite ?» ; George accueillait poliment Mory, tout se passait comme prévu.
La porte se referma sur les
deux hommes, et Luna se rapprocha de la fenêtre ouverte pour mieux entendre.
- …
j'aurais besoin d'un peu d'argent.
- … je ne
vais sûrement rien refuser à mon cher fils !
- … il me manque encore au
moins treize mille pour que mon projet soit accepté...
Soudain,
Luna vit apparaître Sandra s'approchant de la maison, rayonnante, un sac de
marchandises à la main. Paniquée, la fillette revint rapidement vers le buisson
pour ne pas se faire découvrir. La vieille dame passa à côté de l'enfant sans
s'apercevoir de sa présence, puis elle ouvrit la porte d'entrée.
Quelques secondes plus tard,
Luna entendit un bruit sourd. Quelque chose avait frappé le sol.
- M...
M.... Mory ?! C'est bien toi ?
- … c'est
de la folie !
- …
George, je crois qu'il vaut mieux lui dire qui nous sommes. Il a le droit de
savoir.
Luna
allait enfin assister à ce que le conseil des rêves attendait depuis des
jours !
16H42.
L'espionne
observait tous les côtés de la rue pour ne pas rater l'arrivée de Tomy, tout en
écoutant attentivement le discours que Sandra adressait à Mory.
Puis elle entendit un cri,
croyant d'abord qu'il s'agissait de l'un des deux vieux, ou de Mory. Mais il
s'avérait que ce cri provenait de quelques mètres à côté, dans la rue.
Curieuse, Luna regarda discrètement plus loin, mais elle ne vit rien. Ni à
droite, ni à gauche ne se trouvait qui que ce soit. Le silence était revenu et
la jeune fille reprit son écoute attentive du discours de la vieille dame.
16H45. Plus que trois minutes,
et Tomy arriverait. Plus que trois simples minutes, et sa vie changerait. Plus
que trois petites minutes, et Mory saurait tout ce qu'il aurait dû savoir
depuis bien longtemps. Plus que trois courtes minutes, et...
- Viens par là gamine, avant
que je te bute.
- Ahhh ! Lâchez-moi,
ahhrrrrrrgh !...
L'affreux homme avait plaqué
sa main sur la bouche de Luna qui ne pouvait plus crier à l'aide. Il la sorti
de sa cachette et l'emmena très vite dans un vieux véhicule, situé dans une rue
sombre non loin de la maison. Il claqua les portes du coffre de la camionnette
derrière lui, et pointa une arme à feu sur la jeune fille impuissante.
***
Sur la
route, mes mains tremblaient sans raison. Peut-être étais-je anxieux de
retrouver mes parents que je n'avais pas vu depuis des mois, ou bien je sentais
inconsciemment que quelque chose allait arriver.
Il me
fallait une réponse à toutes mes questions. Et j'avais l'impression que seule
la visite à mes parents pouvait y répondre.
A quelques
mètres du domicile familial, un énorme sachet de chocolats dans la main droite,
une photo de Victoria, moi et les enfants dans l'autre main, j'appréhendai
légèrement ces retrouvailles.
Soudain, j'entendis un coup de
feu tout près de là ou je me trouvais.
Puis un calme assourdissant
suivit ce bruit sourd.
Une porte claqua, un moteur
démarra, et le véhicule s'éloigna. C'est tout ce que je pus entendre de cette
atroce scène.
Je repris alors mes esprits,
m’efforçai de paraître calme, et activa la sonnette de la maison. Personne ne
vint ouvrir. Oh et puis après tout... c'était aussi chez moi ! Je me
permis d'entrer.
- Papa ? Mamaaaan ?
C'est Tomy, vous êtes où ?
Mon père arriva en traînant
des pieds face à moi, tout tremblant, les larmes aux yeux. Il semblait faible.
-
Il faut qu'on te présente quelqu'un...
Il m'accompagna au salon, où
je découvris un homme qui me ressemblait étrangement, étendu sur le sol, mort.