mercredi 25 mai 2016

L'onirie du sort

Bonjour à tous !
Aujourd'hui, je voulais vous faire part d'une nouvelle que j'ai écrite il y a un an. En réalité il y en a deux (la deuxième a été écrite par une amie), mais il s'agit de la même histoire. Vous comprendrez mieux en lisant ! J'ai pour projet de réécrire ces deux nouvelles de A à Z et de les assembler pour en faire un roman. Cependant, si je pouvais avoir des avis pour savoir ce qui va ou ne va pas, ce qui n'est pas cohérent, peu compréhensible, ce qu'il faut modifier, garder, supprimer... ça me serait bien utile ! Alors je remercie d'avance les quelques personnes qui voudront bien me conseiller. Toute critique est la bienvenue !



L'onirie du sort

Chapitre 1 : Set fire to the chocolate

            Nous étions au mois de septembre.      
            Les flocons de neige s'agitaient déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle dans laquelle je me trouvais.
            Je n'avais pas l'habitude de voir, à cette période de l'année, les paysages se recouvrir de flocons d'une blancheur pareille au lait. Mais je me réjouissais d'avance, car cette fine neige me rappelait le joyeux mois de décembre, la période que j'attendais chaque année avec impatience : lors des fêtes de fin d'année, je me sens toujours heureux et fier d'exercer mon métier.     

            Je suis chocolatier créateur depuis presque aussi longtemps que le péché de la gourmandise existe. Enfant déjà, lorsque mon père tenait la boutique de la chocolaterie Dousset, je prenais un plaisir fou à imaginer quelles nouvelles saveurs les amateurs de chocolat pourraient apprécier, quelles formes surprenantes il était possible de donner à cet aliment. Mais par dessus tout, je savourais chaque copeau de chocolat qui m'était offert. C’est de tout ce que m'a inculqué mon père qu’est née cette admiration, cette passion pour le chocolat. Ainsi, comprenez que je trépigne d'impatience à l’idée de vendre des milliers de chocolats à des clients émerveillés à la fin de l'année !

            Mais revenons à ce mois de septembre.

            Les flocons de neige s'agitaient déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle dans laquelle je me trouvais. A l'intérieur se déroulait une conférence sur les bienfaits du chocolat. Sur les murs étaient accrochés de nombreux tableaux, au travers desquels coulaient toutes sortes de chocolats, comme s’ils cherchaient à s’évader des paysages sucrés qui y étaient représentés. Ces tableaux, telles des fontaines, laissaient s'échapper des litres entiers du meilleur aliment du monde, mais personne ne semblait s'inquiéter de l’étrangeté de la situation.      
            Nous devions être une trentaine à assister à la conférence qui était donnée par deux chocolatiers confiseurs. Parmi les spectateurs se trouvaient ma femme, Victoria, et ma fille de quinze ans, Magalie, qui avait longuement insisté pour nous accompagner et assister à cet événement. Cependant, je ne me souviens plus exactement de ce qu’il s’y est dit…
Mais je ne vois pas l’intérêt de m’attarder sur ce détail : la suite est bien plus étrange.

            Plus tard, lors de la logorrhée de l'un des conférenciers, je remarquai, deux rangs devant moi, un nourrisson qui m'avait l'air peu ordinaire. Je n'y prêtai pas réellement attention, absorbé par les paroles insensées du chocolatier. Mais je finis par le regarder à nouveau : quelque chose de louche semblait se tramer.
            Tout à coup, j'ouvris grand les yeux.
            Le bébé grandissait à une vitesse considérable : d’abord son visage s’affina et ses cheveux poussèrent, devinrent presque noirs. Sa peau lisse de bébé innocent devint alors boutonneuse, impropre et visiblement rugueuse. Puis tout le reste de son corps suivit. Le spectacle était indescriptible. Il avait atteint, en quelques secondes, une taille presque adulte ! Ses yeux d'adolescent me fixèrent alors, et je sentis dans cet être anormal un sentiment de partage, comme une once de compassion. J’avais l’impression qu’il voulait s'excuser d'un événement dont je ne connaissais pas la source. Je ne savais pas qui était cette personne surnaturelle, ni ce qu'elle me voulait, mais je priais pour qu'elle ne m'approche pas, et reste loin de Victoria et Magalie. 
            A ma grande surprise, le jeune homme détourna son regard, s'éloigna d'un mètre, puis de deux, jusqu'à ce qu'il atteignît l'un des murs de la salle. Le reste du public ne semblait pourtant pas s'étonner de ce phénomène. Je devais être l'un des rares à craindre ce qui allait suivre. L'adolescent scrutait le tableau en face de lui d’où coulaient encore des litres entiers de chocolat qui avaient déjà atteint les pieds des premiers spectateurs.
            Il se produisit alors quelque chose qui m'échappa.
            L'adolescent sortit un briquet de sa poche, l'alluma. La flamme s'approcha dangereusement du chocolat et, en quelques secondes, le feu passa d'un tableau à l'autre, encerclant la salle de flammes gigantesques. Le public, enfin conscient qu’un drame se produisait, commença à s'affoler : des cris retentirent d'un bout à l'autre de la salle, et le jeune homme disparut.
            Vertiges.       

***

            Sursaut ! Lumière ? Réflexion... Ah, rêve !       
            Je vérifiai que ma femme était bien à côté de moi dans le lit. Je fus rassuré de savoir que je venais seulement de vivre un rêve ridicule. Victoria dormait encore.
            Sans aucun bruit, j'enfilai mes pantoufles et me dirigeai vers la fenêtre : aucun flocon de neige, tout allait bien pour un mois de septembre.     

            Je suis Tomy Dousset, et je vis dans le monde du chocolat depuis mon enfance.
            Ma femme, Victoria, et mes trois enfants s'occupent de la chocolaterie Dousset avec moi quand ils en ont le temps. Ma première fille, Magalie, a quinze ans et est déjà très mature pour son âge. Elle a le sens des responsabilités, et je suis plutôt fier d'elle. Lisa, ma seconde fille, douze ans, rentre tout juste dans la crise d'adolescence. Elle se rebelle un peu, et pense parfois être la reine du monde, mais rien de bien méchant pour le moment... Et puis nous avons notre petite merveille, Benjamin. Mon fils a eu six ans le mois dernier, et est très attaché à sa mère. Celle-ci se voit pourtant contrainte de laisser Magalie s'occuper des deux cadets lorsqu'elle travaille sur ses projets d’écriture qui lui tiennent généralement beaucoup à cœur. Car, en plus de s'occuper de la boutique, Victoria est aussi traductrice d'édition depuis deux ans maintenant. Lorsqu'elle est dans son bureau, il est préférable de ne la déranger sous aucun prétexte, mais son travail autonome lui permet de nous consacrer beaucoup de temps, aux enfants et à moi.
            Nous sommes à nous cinq une famille heureuse, et on ne peut plus ordinaire.

            Mais jamais je ne me serais douté de toute l'aventure que j'allais vivre.   





Chapitre 2 : Feuer frei

            Si vous associez le terme « banal » à « monotone » ou encore à « ennuyeux », alors je ne pourrais vous affirmer que la journée où tout a commencé était au départ banale.
            C'était pourtant une journée splendide, comme toutes celles qui avaient défilé dans ma vie jusque là.     
            Magalie venait de rentrer du lycée, et Victoria était allée chercher Benjamin à l’école primaire, quelques rues plus loin. C’était jusqu'à présent un jour des plus normaux : ma femme avait passé toute la journée dans son bureau, pendant que je m’occupais de la vente de mes tendres chocolats.
            Et je ne me lassais pas de ce quotidien.           

            - Dis papa, on peut utiliser les bougies ?         
            Ah oui... Lisa était restée à la maison aujourd'hui, prétextant une obscure maladie, comme chaque mercredi depuis la rentrée, pour la simple raison qu'elle voulait rester dans sa chambre pour jouer avec sa meilleure amie, Luna qui, elle, avait la chance de ne pas avoir affaire au « supplice scolaire », comme Lisa le disait si bien.
            Naïfs et attachés à nos enfants comme nous le sommes, cela faisait déjà trois fois que Victoria et moi acceptions qu'elle reste se reposer. Mais peu importe, je sévirais mercredi prochain.       
            - Lisa, je t'ai déjà dit que maman ne voulait pas qu'on touche aux bougies avant Noël ! Allez vous amuser ailleurs, j'ai du travail...   

            Cet après-midi-là, c'était pensif que je vendais mes chocolats aux clients.
            Mes rêves de la nuit passée tournaient encore dans ma tête. Il était à vrai dire impossible de ne faire aucun rapprochement entre mes fabrications et les cascades de chocolat de mes songes nocturnes.
            Heureusement, Magalie était là pour m'aider à tenir la boutique.   

            - Papa, Luna et moi on vient de faire une grosse connerie !
            - Lisa, ton langage !           
            - Mais papa, viiite, c'est urgent !  
            Inquiet, je décidai de laisser la boutique à Magalie quelques instants pour aller voir ce que Lisa avait encore fait.
            Ma fille me conduisit jusqu'à sa chambre et... 
            Horreur, catastrophe !       
            Rideaux, feu, bougies...   
            Ma fille m'avait encore une fois désobéi, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle allât jusqu'à mettre le feu aux rideaux !           
            Encore une fois, mon rêve me revint en mémoire : était-ce un rêve prémonitoire ? Peut-être quelqu'un avait-il programmé de mettre le feu chez moi suite à ce rêve...
            - Papa !!        
            Stop la paranoïa !
            Je me réveillai soudain de mes songes. Je fus inconscient de ce qui se passait autour de moi pendant quelques secondes, mais heureusement pour moi, pas assez longtemps pour que le feu se propageât dans toute la pièce.    
            Paniqué, je pris avec une force herculéenne l'aquarium du couloir, et aspergeai les rideaux d'eau.
            Par chance, le feu était encore faible, et quelques seaux supplémentaires me suffirent à l'éteindre totalement...       
            - Putain, mais Lisa, bordel, t'en as pas marre de tes conneries ?!   
            - Mais c'est la bougie qui... enfin quand Luna... j'ai... le rideau... poissons...       
            Ma fille se mit à sangloter.
            Je la pris alors dans mes bras, et essayai de la calmer. Je savais qu'elle était désolée, mais il fallait à tout prix que j'arrête de me laisser marcher dessus par une enfant de douze ans ; elle avait failli nous tuer !   
            Les poissons, pour la plupart morts, étaient étendus sur le sol, au pied des rideaux maintenant inexistants, mêlés à de l'eau, de la cendre, et de la cire qui avait coulé de la bougie criminelle. Un seul poisson gigotait encore au sol, mais avant même de pouvoir le remettre à l’eau, je vis ses mouvements faiblir, jusqu’à ce que l’animal rende enfin l’âme... Ma femme allait beaucoup m'en vouloir ! Qu'allais-je faire de ces petites bêtes maintenant ? Je n'allais tout de même pas les jeter... Les manger peut-être ?           
            - Pour les poissons... n'hésitez pas à les manger ! me dit Luna. Ma maman dit souvent qu'ils développent l'imagination, et que ceux qui vivent en aquarium font faire de beaux rêves à leurs consommateurs.     
            Mais c'est quoi cette petite aux idées haut perchées ? Elle lit dans mes pensées ou quoi ?!  

            Une fois cette fin d'après-midi mouvementée terminée, Luna rentra chez elle. Suite à l'explication que je dus donner à Victoria sur l'incident et les poissons morts, qui ont en fin de compte terminé dans la gamelle du chat de Luna, l'ambiance fut pesante tout au long de la soirée.   
            Ma femme, préférant travailler sur ses projets d'écriture après avoir bordé les enfants, me laissa en plan.
            Je suis alors parti me coucher seul, épuisé par ces dernières heures.     

            Mais c'était bien naïvement que je m'imaginais que tout serait achevé après une bonne nuit de sommeil.       



Chapitre 3 : Mais le sommeil ne le sait pas...    

            Mon esprit fut particulièrement tourmenté cette nuit-là.        
            Si je me souviens bien, mon rêve avait commencé devant la maison de mes parents.
            J’ignore pourquoi, mais mon corps refusait de rentrer chez eux, alors j’attendais bêtement devant la porte, en chantant She's like heroin
            A l’intérieur de la maison, j’entendais ma mère dire à mon père « George, va chercher Mory avec la voiture de police à l’école, s’il te plaît, et emmène la sonnette avec toi ! ». J’avais envie de rire en entendant ces propos insensés ! A ma connaissance, mes parents n’avaient jamais connu personne se nommant Mory.       
            Je me suis soudainement retrouvé dans un quartier délabré de la ville, dans lequel un homme qui semblait sans visage criait « Fishy, va chercher ! ». A ces mots, un poisson rouge haut d’une dizaine de mètres surgissait de derrière les vieilles bâtisses endommagées, et courait sur ses nageoires en direction d’un petit groupe d’adolescents en uniforme ridicule. La créature les regardait fixement sans s’arrêter de courir, et finit par les gober dans un bruit répugnant. Luna, l’amie de Lisa, intervint alors, une bougie à chaque main, et cria au poisson : « Viens là, que je te réchauffe les nageoires, ou tu finiras dans la gamelle de Mystègri ! ».  
            A ces mots, un sursaut provoqua mon réveil.  

            Il m'arrivait très souvent de rêver, mais ce songe-là était le signe du début d'une série d'aventures surréalistes et toujours inexplicables.   
            Dans un premier temps, en repensant au rêve de la nuit passée, je ris de l'absurdité de mes songes, en me disant que je devais avoir une sacré imagination pour en arriver à rêver de poisson géant et d'homme sans visage.
            Mais au fil de la journée, mon inconscient nocturne me semblait de plus en plus inquiétant. Je me disais que certains de ces éléments oniriques n'étaient pas là par pur hasard, et qu'ils signifiaient probablement quelque chose.
            Cependant, à ce moment, cette hypothèse avait encore peu d'importance dans le flot de ma vie...           

                                                                                  ***

            Bureau des rêves, dix-neuf heures et trente-sept minutes, la veille.         
            - Un autre bébé Mory ?     
            - Non, l'aquarium mortel ! 
            - Bébé Mory qui se noie dans l'aquarium mortel !       
            - Faites-le plutôt se faire dévorer par un poisson ! Un poisson géant !      
            - Non, pas Mory ! Les quatre gamins qu'il a croisés tout à l'heure ! Mangés par un poisson géant !           
            - Ou la mort de Lisa !         
            - SILEEEENCE ! On ne touche pas à Lisa, Luna me l'a interdit. Et je ne veux pas écrire un rêve qui rejoigne celui de la nuit dernière, alors pas de bébé Mory, les gars.   
            - Mais... Rowena, il faut bien que Tomy rêve de lui chaque nuit et le rencontre un jour, vous l'avez dit hier !        
            - Tomy ne rêvera pas de Mory bébé. Quelqu'un a une idée ?         
            - Maman ? Cet après-midi, j’ai vu Mory devant la maison de ses parents, il avait l'air particulièrement perturbé... peut-être que le père de Lisa peut rêver aussi de la maison... et de Tomy.           
            - Je suis d'accord avec la gamine. Qui vote pour l'apparition de la maison ?       
            Le vote fut unanime : toutes les mains, y compris celle de Rowena, se levèrent.
            Encore une petite demi-heure et la communauté des rêves avait fini de préparer ce dont Tomy allait bientôt rêver.  

                                                                                  ***

            - Monsieur ? Tomy, houhou ?...  
            Encore une fois, mon esprit était ailleurs, et je n'arrivais plus à assimiler ce qu'il se passait autour de moi. Ma tête était encore dans mon rêve, devant la maison de mes parents. 
            Je tenais seul la boutique à ce moment là, et Luna, en face de moi depuis un certain temps, me faisait des signes, mais je n'avais rien remarqué.      
            - Oh, excuse-moi, Luna, j'étais... ailleurs. Tu es là depuis longtemps ?     
            - Non, non, je viens juste d'arriver. Lisa est ici ?         
            - Victoria et moi l’avons punie suite à sa bêtise d’hier.          
            - C’était de ma faute… j’ai voulu prendre les bougies pour faire une séance de spiri… euh… enfin, je voulais m’amuser un peu avec Lisa, mais ça a mal tourné… ce n’est pas de sa faute. Vous pourrez lui donner ça de ma part ?        
            Elle me tendait une boîte, en me disant que c’était sa mère qui avait tenu à l’offrir à Lisa, et en m’assurant que ce n’était pas dangereux et que cela lui ferait sincèrement plaisir. Il s’agissait de bâtonnets d’encens.
            Un flash me vrilla alors la tête.
            Et instantanément, je me souvins d’un passage de mon dernier rêve que j’avais jusque là oublié.           

***

            Après ces aventures dans ce quartier délabré dans lequel de nombreuses choses incohérentes s'étaient passées, j’étais dans une pièce sombre qui sentait l’encens à plein nez. Elle ressemblait étrangement à la demeure d’une voyante. Beaucoup d’accessoires peu rassurants s’y trouvaient : miroirs, boules de cristal, poupées vaudous…           
            La porte s’est alors brusquement ouverte.       
            Je craignis qu’une sorcière n’apparaisse, le balai à la main, le rire effrayant, le physique épouvantable…      
            Mais il ne s’agissait que d’un homme, dont le corps et le visage étaient couverts de débris de miroirs. Je ne voyais qu’un reflet déformé de moi en le regardant.            
            Une femme est alors apparue de nulle part, elle nous fixait tous les deux. C'était une belle et grande femme. Elle était envoûtante, hypnotisante même. Ses deux grands yeux verts me fixaient avec une douceur intriguante. Elle se tourna ensuite vers l'autre homme. Je remarquai  sa longue chevelure noire qui ondulait sur ses épaules : elle était étincelante.    
            L’homme-miroir avait l'air de penser la même chose que moi sur cette sublime créature. Elle me faisait penser à quelqu'un, mais je ne me souvenais pas à qui. Peu m'importait, c'était une femme ravissante.   
            L'homme et moi nous retrouvâmes tout à coup à coté de la maison de mes parents. La femme n'était plus là, et nous l'avions déjà probablement oubliée. Il me semble qu'ensuite, je sautai inexplicablement sur le dos de l'homme aux débris de miroir, comme pour le mettre violemment à terre.           
            Nouveaux vertiges.

                                                                                  ***

            C’était après cette chute que je me réveillai.    
            Luna ! C'était à elle que me faisait penser la femme dans cette salle ! Probablement une coïncidence... A moins que cette enfant me rende dingue !
            En revanche, ce qui me perturbait, c'était la double apparition de la maison de mes parents cette nuit-là. A vrai dire, je refusais de croire que ce n’était qu’un simple hasard.       
            Mes rêves étaient de plus en plus étranges depuis peu, je finissais par me sentir malade d'y accorder autant d'importance, mais les oublier était au dessus de mes forces. J'avais l'impression que mes songes avaient une influence grave sur mon quotidien, comme si ces rêves qui me laissaient chaque fois à l'ouest changeaient la personne que j'étais. 
            C'est par ce raisonnement que je me dis qu'il fallait à tout prix que j'aille voir mes parents, c'était comme si mes songes m'appelaient à le faire...          




Chapitre 4 : Le début de la fin  

            Bureau des rêves, seize heures et vingt-quatre minutes.     
            Les membres du conseil chuchotaient dans la salle. Ils attendaient impatiemment le retour de Rowena et sa fille. Autour d'eux, les boules de cristal et les vieux livres de magie se recouvraient de poussière.    
            La porte s'ouvrit alors d'un mouvement sec et rapide, tous sursautèrent, la poussière vola, et Rowena, suivie de sa fille prononça ce que chacun souhaitait entendre.
            - Notre mission touche à sa fin mes amis ! Luna vient de me rapporter que d'ici quelques minutes, Mory rencontrerait enfin George et Sandra ! Et ce n'est pas tout : grâce aux fabuleux rêves que nous avons créés ensemble, Tomy a lui aussi décidé de voir ses parents pour éclairer ses doutes sur son état d'esprit !    
            Euphorie dans la salle, l'ensemble du conseil des créateurs de rêves fut soulagé et fier d'être parvenu au bout de cette mission. Rowena rétablit le calme.          
            - Évidemment, notre espionne, ma chère fille Luna, devra s'assurer que tout se passe bien lors de cette rencontre, et nous rapporter tout ce qui a été dit ! Mais ne vous en faites pas, ce n'est qu'une affaire de quelques minutes ! Luna, maintenant tu peux y aller. Mory arrive à 16h31, Tomy à 16h48, n'oublie pas !          
            Et la fillette, avec un sourire malicieux, fila droit vers la maison de George et Sandra Dousset.

                                                                                  ***

            Marchant, courant, volant vers la maison des vieillards, Luna continuait fièrement son devoir d'espionne. Arrivée devant la clôture, elle regardait l'heure. 16h30. Elle voyait déjà au loin la silhouette de Mory se diriger vers la maison.          
            L'enfant se cacha vite, discrètement, dans un buisson, en attendant que Mory n’entre.          
            Driiiiing.
            « … que me vaut le plaisir de ta visite ?» ; George accueillait poliment Mory, tout se passait comme prévu.         
            La porte se referma sur les deux hommes, et Luna se rapprocha de la fenêtre ouverte pour mieux entendre.
            - … j'aurais besoin d'un peu d'argent.
            - … je ne vais sûrement rien refuser à mon cher fils !
            - … il me manque encore au moins treize mille pour que mon projet soit accepté...
            Soudain, Luna vit apparaître Sandra s'approchant de la maison, rayonnante, un sac de marchandises à la main. Paniquée, la fillette revint rapidement vers le buisson pour ne pas se faire découvrir. La vieille dame passa à côté de l'enfant sans s'apercevoir de sa présence, puis elle ouvrit la porte d'entrée.         
            Quelques secondes plus tard, Luna entendit un bruit sourd. Quelque chose avait frappé le sol.           
            - M... M....  Mory ?! C'est bien toi ?
            - … c'est de la folie !
            - … George, je crois qu'il vaut mieux lui dire qui nous sommes. Il a le droit de savoir.
            Luna allait enfin assister à ce que le conseil des rêves attendait depuis des jours !      
            16H42.
            L'espionne observait tous les côtés de la rue pour ne pas rater l'arrivée de Tomy, tout en écoutant attentivement le discours que Sandra adressait à Mory.       
            Puis elle entendit un cri, croyant d'abord qu'il s'agissait de l'un des deux vieux, ou de Mory. Mais il s'avérait que ce cri provenait de quelques mètres à côté, dans la rue. Curieuse, Luna regarda discrètement plus loin, mais elle ne vit rien. Ni à droite, ni à gauche ne se trouvait qui que ce soit. Le silence était revenu et la jeune fille reprit son écoute attentive du discours de la vieille dame.          
            16H45. Plus que trois minutes, et Tomy arriverait. Plus que trois simples minutes, et sa vie changerait. Plus que trois petites minutes, et Mory saurait tout ce qu'il aurait dû savoir depuis bien longtemps. Plus que trois courtes minutes, et...          
            - Viens par là gamine, avant que je te bute.     
            - Ahhh ! Lâchez-moi, ahhrrrrrrgh !...       
            L'affreux homme avait plaqué sa main sur la bouche de Luna qui ne pouvait plus crier à l'aide. Il la sorti de sa cachette et l'emmena très vite dans un vieux véhicule, situé dans une rue sombre non loin de la maison. Il claqua les portes du coffre de la camionnette derrière lui, et pointa une arme à feu sur la jeune fille impuissante.    

                                                                                  ***
           
            Sur la route, mes mains tremblaient sans raison. Peut-être étais-je anxieux de retrouver mes parents que je n'avais pas vu depuis des mois, ou bien je sentais inconsciemment que quelque chose allait arriver.
            Il me fallait une réponse à toutes mes questions. Et j'avais l'impression que seule la visite à mes parents pouvait y répondre.         
            A quelques mètres du domicile familial, un énorme sachet de chocolats dans la main droite, une photo de Victoria, moi et les enfants dans l'autre main, j'appréhendai légèrement ces retrouvailles.
            Soudain, j'entendis un coup de feu tout près de là ou je me trouvais.      
            Puis un calme assourdissant suivit ce bruit sourd.    
            Une porte claqua, un moteur démarra, et le véhicule s'éloigna. C'est tout ce que je pus entendre de cette atroce scène.       
            Je repris alors mes esprits, m’efforçai de paraître calme, et activa la sonnette de la maison. Personne ne vint ouvrir. Oh et puis après tout... c'était aussi chez moi ! Je me permis d'entrer.         
            - Papa ? Mamaaaan ? C'est Tomy, vous êtes où ?     
            Mon père arriva en traînant des pieds face à moi, tout tremblant, les larmes aux yeux. Il semblait faible.
            - Il faut qu'on te présente quelqu'un...   
     Il m'accompagna au salon, où je découvris un homme qui me ressemblait étrangement, étendu sur le sol, mort.






Réveil difficile


Me revoici dans cette pièce étrangement familière. Est-ce que je tourne en rond ? Je l’ignore.
Malgré l’obscurité du lieu, une odeur merveilleuse m'emplit les narines. Sucrée, chaleureuse et enivrante, je peux reconnaître l’odeur de la confiserie la plus voluptueuse qui soit: le chocolat.
Autour de moi se trouvent des dizaines et des dizaines de portraits qui  représentent les mêmes personnes : des parents peut-être ...      
Soudain, un mouvement sur ma droite attire mon attention. 
Un homme me fait face.   
Je l’entends murmurer des paroles que je ne comprends pas.
Il s’approche de moi, et lorsqu’il n'est plus qu’à quelques mètres, une peur m’envahit. Cet homme n’a pas de visage... Et pourtant j’ai l’impression de le reconnaître. Ses murmures devenant plus audibles, je peux enfin comprendre le message qu’il veut me transmettre. L’homme sans visage me dit : « Je te cherche et je vais te retrouver ».
Une nouvelle peur m’envahit, se propageant dans tout mon corps. 


Paniqué, Mory se réveilla en sursaut.
- Calme-toi, ce n’était qu’un rêve, songea-t-il.
Pourtant, tout en reprenant ses esprits, le rêve lui revint peu à peu en mémoire.
- Tout semblait pourtant si réel… mais qui pouvait être cet homme étrange ?!, se demanda-t-il.
Dans la journée, Mory tenta d'oublier ce rêve et continua le flot de sa vie comme il en avait l’habitude. Il alla d’abord voir son dealer pour se procurer une nouvelle dose d’héroïne (ses dernières provisions étant terminées depuis deux jours maintenant, il était gravement en manque… peut-être était-ce d'ailleurs ce qui l’avait conduit à ce rêve inhabituel ?).         
En rentrant chez lui, il passa devant un groupe de gamins habillés de la tête aux pieds de l'uniforme d’une école privée très réputée de la ville. Les quatre jeunes semblaient chercher leur route. Mory se dit que c’était l’occasion de montrer une fois de plus sa force et sa supériorité, alors que de sales bourges se pointaient dans son quartier. Il les suivit alors discrètement. Dans son « bled », comme il avait l’habitude de l’appeler, Mory ne tolérait pas que des inconnus provenant des beaux quartiers passent avec leurs voitures tape-à-l’œil, comme si le monde entier leur appartenait. Il se doutait bien que son agent de probation lui taperait sur les doigts pour l’acte qu’il allait commettre, mais c'était plus fort que lui. 
Car oui, Mory avait fait de la prison pour avoir incendié volontairement la salle Sigmund Freud lors d’une conférence. Mais ce n’était pas tout : il avait également été accusé et emprisonné pour plusieurs délits assez importants, dont la liste était bien longue.         
Mory continua donc à suivre furtivement la bande de copains.   es pas s'accéléraient au fur et à mesure que son excitation grandissait. Mais bientôt, il fut ralenti dans sa course. Au coté des jeunes garçons se trouvait une voiture de police dans laquelle ils montèrent tous. Son plaisir disparut peu à peu pour laisser place à une grande déception.      

Décidément rien n’allait pour lui en ce moment : son dealer ne voulait plus rien lui donner tant qu’il n’aurait pas payé les doses précédentes, et il n’avait plus de travail depuis des mois. Il comptait donc sur les gamins du coin qu’il s’amusait à racketter pour se nourrir, ou sur les chariots de vendeurs de hot-dogs. C’était d’ailleurs devenu sa seule activité depuis quelques temps.    
Dépité, Mory repartit alors d’un pas lent en direction de sa petite maisonnée en piteux état. Il était loin d’être l’homme le plus riche ou le plus heureux du monde, mais il était satisfait de la vie qu’il avait menée jusque là, malgré cet état de manque constant.
Il ignorait lui-même ce qui lui manquait et encore plus que, bientôt, toute sa vie allait changer.
Mory passa par hasard devant la salle Sigmund Freud et ne put s’empêcher de repenser au violent incendie qui avait complètement ravagé la salle, alors que de nombreuses personnes s'y trouvaient. Ce jour là, sa vie d’homme cruel et malfaisant avait commencé. Il avait ressenti une envie irrésistible de voir un magnifique feu, dévorant tout sur son passage.           
Mais cette salle lui rappelait aussi le jour qui aurait dû être le plus beau pour lui, mais qui avait fini si tragiquement : alors qu’il venait juste de se marier, celle qui était sa femme depuis quelques minutes avait été victime d’une fatale crise cardiaque.
Mory ne s’était jamais remis de ce drame et avait commencé à sombrer. C’est à partir de ce jour que ses pas avaient commencé à croiser ceux de mauvaises personnes, celles qui en voulaient terriblement à la vie et souhaitaient se venger par des actes atroces.        
Il avait été comme guidé, incontrôlable, le jour où l’incendie avait été commis, mais par la suite, il s'était rendu progressivement compte qu’il avait été incroyablement heureux de voir ces personnes affolées courir, telles de minuscules fourmis dont on aurait détruit la fourmilière.
Ce fut son premier chef-d’œuvre.          
La salle réputée avait été évidemment reconstruite, et le juge avait strictement défendu à Mory Roussek d’y remettre les pieds.      
Un coup de vent le fit frissonner et mit fin à ses souvenirs. 
- Il fait drôlement froid pour une fin septembre… se dit-il. 
Comme il était près de midi et qu’il avait faim, Mory se décida à aller se chercher un truc à se mettre sous la dent. Tout en faisant demi-tour, il se dirigea vers le centre-ville. A cette heure, la plupart des vendeurs ambulants se trouvent sur les lieux d’affluence de ceux qui ne prennent jamais le temps de se reposer. Tout l’inverse de Mory.  
Mais soudain, quelque chose lui fit oublier sa quête de nourriture.
Une maison à laquelle il n’avait jamais fait attention auparavant, pourtant banale, l’intrigua.
Mory resta comme hypnotisé et ne bougea plus pendant de longues minutes. Cette maison lui semblait mystérieuse, il avait l’impression qu’elle cachait des secrets dont il avait besoin, l’impression que la maison l’appelait : la curiosité fut plus forte.
Montant lentement les marches de l’allée, il essaya de se rappeler si elle avait toujours été là. Une sensation indescriptible se propagea alors dans tout son corps, ce qui l’empêcha de faire demi-tour. 
Arrivé en haut du perron, la main tendue vers la sonnette, Mory fut subitement comme contrôlé à distance, incapable de rien faire,  ne parvenant pas à manifester sa présence aux habitants de la maison. Cette sensation nouvelle confirma son pressentiment : il y avait bel et bien une chose derrière cette porte, une chose que Mory cherchait depuis longtemps, une chose qu’il était temps qu’il découvre.

Puis, comme suite à une lutte acharnée, sa main retomba et Mory, perplexe, repartit, dubitatif face à ce qu’il venait de se passer.
Peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination ?
Pendant plusieurs jours, Mory ne put s’empêcher de repenser à cette maison. Il n’avait pas eu le courage d’y retourner, bien qu'à plusieurs reprises l’envie lui eût fait prendre son manteau. Mais au dernier moment, il s'était à chaque fois ravisé.
Puis un jour, alors qu'il flânait comme à son habitude dans les rues, il entendit une vieille femme appeler son chat. Rien d’important ? Non, sauf lorsque celle-ci prononça ses paroles :
- Viens là, Mistigri, je te cherche et je vais te retrouver.
A ces mots, la voix de l’homme sans visage revint dans son esprit.

L’homme sans visage me dit : « Je te cherche et je vais te retrouver ».
Une nouvelle peur m’envahit, se propageant dans tout mon corps.  L’homme sans visage disparut ensuite dans un nuage de fumée, et je me retrouvai seul dans une pièce sombre.  
A ma droite, une porte s’ouvrit brusquement et je pus sentir une ardeur enivrante se propager dans la pièce. Dans l’entrebâillement, la lumière chaleureuse m’attira à l’intérieur.  La pièce, noyée dans une fumée noire et mystérieuse, dégageait une douce odeur d’encens, qui me procura une sorte de légèreté, comme si tous mes soucis s’envolaient. La pièce ressemblait à un cabinet de voyance : il y avait plusieurs boules de cristal, de vieux livres, des cartes, des poupées vaudou et d’autres accessoires peu rassurants. Un mouvement  me laissait penser qu'une personne était présente. C'était une femme à la longue chevelure bouclée d'un noir intense, aux grands yeux d'un vert pétillant, aux grandes boucles d'oreilles dont les spirales qui les ornaient étaient hypnotisantes. Me voyant debout et perplexe, elle me demanda alors d'attendre quelques instants avant de disparaître derrière une porte. Plus tard, la porte grinça et pivota lentement sur ses gonds. De nouveau l'homme sans visage me fit face, mais cette fois-ci, il ne disait pas un mot et fixait avec insistance tout en montrant quelque chose derrière moi. Je me retournai alors et vis avec effroi la mystérieuse maison qui m'intriguait depuis quelques jours. Puis sans prévenir, je sentis une violente secousse sur mon dos et la seconde d'après ma tête heurta violemment le bitume. Vertiges.

Sorti de ses songes, Mory remarquait que les passants l'observaient de haut. Déconcentré par ses souvenirs, il avait fini nez à nez avec le sol en trébuchant sur le trottoir.
Revenu à la réalité, Mory constata avec effroi qu'il se trouvait devant la maison de son rêve, cette fameuse maison qui l'avait tant bouleversé. Pris au dépourvu, le voyou ne se souvenait pas d'avoir emprunté cette rue : avant sa chute, il se trouvait dans le parc de la ville. Peut-être que pendant son flash-back, son corps s'était inconsciemment dirigé vers ce lieu inquiétant.
Mory n'en revenait pas, cette maison était présente partout : dans ses rêves et même durant la journée. Il devait découvrir ce que cette bâtisse avait à lui révéler et décida de le faire à l'instant-même.
Prenant son courage à deux mains, Mory se dirigea vers la porte de la maison avec une certaine appréhension.

Les secondes lui parurent interminables en entendant la sonnette résonner à l'intérieur. Ce fut un homme assez âgé qui lui ouvrit la porte et lorsqu'il le vit, le vieillard lui sourit et lui dit : « Tiens, Tomy, mon cher fils que me vaut le plaisir de ta visite ? Mais dis-voir tu as changé depuis la semaine dernière ! Est-ce que tu t'es battu pour avoir un œil au beurre noir ? » L'homme parlait sans que Mory ne puisse l'interrompre.
Confus, Mory mit quelques secondes avant de réagir. Tout fonctionnait rapidement dans sa tête : cet homme délirait complètement. Peut-être était-il atteint de l’Alzheimer, ou bien sa vue n'était plus tout à fait très nette, vu son âge...         
Il ignorait qui était ce Tomy, mais il avait une idée pour jouer de l'état du vieil homme. Voilà des années que Mory vivait dans la misère, alors espérant que le vieillard puisse lui donner naïvement un peu d'argent, il se fit passer pour cette personne imaginée par le vieil homme.
- Bonjour papa, comment vas-tu ? Ne t’inquiète pas pour mon œil je me suis... juste cogné dans une porte.
Le vieillard, n'y voyant que du feu, lui proposa alors de rentrer à l'intérieur. En regardant autour de lui, Mory se demandait pourquoi cette maison l’obsédait autant, mais il sortit immédiatement de ses songes pour se concentrer sur son plan machiavélique.

- Alors dis-moi Tomy, quelle est la raison de ta visite ? Victoria et les enfants vont bien au moins, tu n'as pas de soucis avec ton magasin ?
- Non, non, tout va bien ne t'inquiète pas pour ça. A vrai dire, je voudrais te demander un petit service, si tu es d'accord...
- Demande-moi ce que tu veux Tomy, tu sais très bien que je suis là pour aider mon fils !

Mory n'en croyait pas ses oreilles, cet homme croyait vraiment à un lien parenté entre eux ! Ce qui confirmait à Tomy que le vieillard ne devait pas avoir une très bonne vue, ni une mémoire exceptionnelle.           
Enthousiasmé par la réussite de son plan improvisé, c'est en toute confiance que Mory se jeta à l'eau :
- Disons que j'aurais besoin d'un peu d'argent pour... faire... euh... de nouveaux aménagements dans « mon magasin », termina rapidement Mory.
Le vieillard le fixa quelques instant et son sourire s'étira un peu plus sur son visage ridé.

- C'est bien la première fois que tu me demandes ça ! Mais je ne vais sûrement rien refuser à mon cher fils qui est le meilleur chocolatier de la ville ! Combien te faut-il ? 
- En fait, j'ai déjà un peu d'argent évidemment, mais il me manque encore au moins treize mille pour que mon projet soit accepté.

- Ah, treize, comme le jour de ton anniversaire !          Très bien, ne bouge surtout pas, je vais te faire un chèque. Si cela peut permettre à ta chocolaterie d'être encore plus populaire, on peut faire un petit sacrifice dans notre retraite, ta mère et moi.

Mory était sans nul doute l'homme le plus heureux en ce moment même. Son Noël était arrivé en avance cette année. Le vieil homme lui tendit le papier avec le sourire, Mory le prit sans une once de regret. Il ne pensait même plus qu'il était en train d'arnaquer cet attachant vieil homme. Il le remercia et lui dit qu'il ne pouvait rester plus longtemps.            
L'arnaqueur s’apprêtait à sortir de cette fameuse maison, encore persuadé qu'il venait de découvrir pourquoi elle l'avait tant attiré depuis ces nombreux jours.
Mais cette croyance que Mory avait jusqu'à présent changea lorsque la porte d'entrée laissa apparaître une joyeuse petite femme âgée, un sac de provisions à la main.

Au moment-même où ses yeux se posèrent sur le jeune homme, la femme lâcha soudainement son sac, dont le contenu s'étala dans le couloir. Son sourire s'effaça rapidement ; elle fixait Mory sans pouvoir le quitter des yeux. Un silence de plomb envahit la maison alors que Mory et la vieille femme se faisaient face. Mory ne comprenait pas, le regard de cette personne le dérangeait beaucoup, il aurait voulu fuir plutôt que rester en face de la vieille dame. Elle rompit alors ce calme interminable:

- M... M....  Mory ?! C'est bien toi ?

Le vieil homme, observant les deux autres personnes, regarda sa femme avec une lueur d’incompréhension. Au son de la voix de cette dernière, ils pouvaient ressentir son étonnement, mais aussi sa tristesse.
Mory était comme abasourdi par ce qu'il venait d'entendre. Cette femme connaissait son nom, mais lui ne l'avait jamais vue avant ce jour. Son esprit lui ordonnait de sortir en courant et de fuir le plus loin possible, mais son corps restait cloué au sol. Cela n'avait absolument aucun sens.

- Sandra, ma chérie, de quoi tu parles ? C'est Tomy, ton fils.

Le mari semblait déconcerté par sa femme.
Sandra décrocha enfin son regard de Mory et regarda son mari, silencieuse, les larmes aux yeux. Elle semblait incapable de parler, mais fit comprendre la situation par un regard à son mari. Celui-ci, qui venait de comprendre, écarquilla les yeux.

- Mais enfin ça n'a pas de sens. Sandra, tu sais très bien que nous avons laissé cette histoire derrière nous depuis longtemps maintenant. C'est de la folie !

- Je me nomme bien Mory, mais je vous avoue que j'ignore qui vous êtes et que je ne comprends pas vraiment ce qui se passe...

- Georges, je crois qu'il vaut mieux lui dire qui nous sommes. Il a le droit de savoir.

A ces mots, Sandra ordonna à tout le monde de se rendre dans le salon. George et Mory la suivirent. Mory n'arrivait pas à voir si la vieille dame était heureuse ou triste, son état était ambigu, mais il était persuadé que ce qu'elle avait à lui dire devait être douloureux pour elle.

En regardant le couple qui lui faisait face, Mory se rendit alors compte qu'il les avait déjà vus quelques jours auparavant, dans l'un de ses rêves étranges et incompréhensibles.

- Il y a 38 ans, une jeune femme a mis au monde deux bébés. L'un d'entre eux avait de graves problèmes de santé et avait peu de chance de s'en sortir. Afin d'éviter trop de souffrance, les parents ont décidé qu'il valait mieux ne pas créer de lien et ont laissé alors le pauvre enfant aux mains de la science. Le deuxième enfant a grandi dans l'ignorance de l’existence de son jumeau et a passé une vie sereine et pleine de réussite, au grand bonheur de ses parents. Même si les discussions sur le fils abandonné se sont faites de plus en plus rares, néanmoins la souffrance est toujours demeurée. Persuadés que le fils était mort depuis plusieurs années, la mère pensait à lui quelquefois et essayait d’imaginer  la vie qu'ils auraient eue tous les quatre. Quant au père, il avait été toujours aux petits soins pour le fils survivant et a fini par oublier son autre fils.  Ce n'est que 38 ans après cette douloureuse décision que l'irréalisable s'est produit. Aujourd'hui, lorsque tu as frappé à notre porte. Mory, nous t'avons cru mort pendant 38 ans mais nous voyons maintenant que notre erreur était immense. J’espère que tu nous pardonneras un jour et dans tous les cas, te revoir aujourd'hui est le plus beau cadeau qui ne nous ait jamais été offert.

Après ce discours touchant, Mory était comme paralysé par la nouvelle qui venait de lui tomber dessus. Soudain, ses parents devinrent flou et la pièce se mit à tourner. Le sol se rapprocha à vive allure et Mory resta inconscient.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je me revois dans mon enfance avec mon frère jumeau. Mais... je n'ai jamais eu de frère, ni de sœur !  Je me souviens de la petite maison de mes parents dans la forêt avec ses longs couloirs d'un blanc immaculé, ses nombreux étages ou encore ses multiples fenêtres donnant sur la vie urbaine. Je revois très clairement le visage de mes géniteurs avec leur masque sur la bouche et leurs mains délicatement gantées, leur tenue toujours blanche et sans tache. Quelquesfois je me rappelle de moments qui ne m'appartiennent pas : mon père qui me chouchoutait en me comblant de cadeaux, les nombreux amis qui m'entouraient, mes études réussies, l'ouverture de ma chocolaterie et ma magnifique petite famille. Moi, Mory, je n'ai jamais pu goûter à ce bonheur. Je n'ai jamais compris d'où venait cette vie, la mienne me semblait séparée en deux. Je ne sais plus où j'en suis mais, quitte à choisir, je préfère rester enfermé dans ces souvenirs flous et inexistants...


George et Sandra étaient penchés au dessus de leur fils, qui gisait là, immobile et dépourvu de vie.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire